À l’issue d’une procédure de négociations de gré à gré, la Ligue de Football Professionnel (« LFP ») a attribué, le 1er août 2024, les droits audiovisuels sportifs de la Ligue 1 pour le cycle 2024-2029 aux diffuseurs DAZN et beIN SPORTS pour une somme globale annuelle de l’ordre de 500 millions.
Sur le plan économique, ce cycle 2024-2029 marque une récession des droits audiovisuels nationaux de l’ordre de 20 % par rapport au cycle précédent (de 622 millions à 500 millions d’euros).
Les clauses de sorties à deux et trois ans, introduites dans les contrats liant la LFP et les deux nouveaux diffuseurs, donnent l’impression d’une solution « intérimaire » bienvenue dans un temps de crise économique pour la vente des droits audiovisuels en France.
Pour autant, au cours de ces négociations, une solution innovante du point de vue du consommateur avait émergé, celle d’une diffusion globale du championnat de France sur une plateforme unique commercialisée directement par la LFP.
Cette idée pourrait-elle revenir au goût du jour dans les prochaines années ?
Elle se heurte, cependant, au schéma classique de la commercialisation des droits par le biais d’un appel à candidatures et de la constitution de lots.
Classiquement, la LFP a toujours commercialisé les droits de la Ligue 1 à des diffuseurs via des procédures d’appel à candidatures permettant de maximiser les recettes de la LFP et assurer le développement des compétitions.
C’est ainsi que le 12 septembre 2023, la LFP avait lancé un appel à candidatures pour les droits audiovisuels nationaux de Ligue 1 pour le cycle 2024-2029 en affichant ses ambitions publiquement par la révélation des mises à prix des cinq lots en vente. Un total minimal de 830 millions d’euros était attendu en deçà duquel l’appel à candidatures était déclaré infructueux. Cela représentait une augmentation espérée de 25 % rapport à l’ancien cycle 2021-2024 (622 millions d’euros : 250 millions pour Amazon – 332 millions pour Canal + - 42 millions pour Free).
Cet appel à candidatures s’appuyait sur les règles du Code du sport relatives au processus de vente des droits audiovisuels sportifs. Elles ont été introduites sous l’impulsion de la Commission européenne qui, sur le fondement des règles européennes de concurrence, avait censuré en 2002 le système de vente des droits audiovisuels de la Premier League constitutif d’une d’entente (Décision de la Commission européenne, 22 mars 2006, The FA Premier League Limited, COMP/C-2/38.173).
Le législateur français, au sein de la loi « Lamour », a repris ses exigences au sein de l’article L. 333-1 et suivants du Code du sport soumettant la commercialisation des droits audiovisuels au respect des règles de concurrence (loi n°2003-708 du 1er août 2003 relativement à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives).
Ainsi, l’article R. 333-3 du Code du sport dispose que la vente des droits audiovisuels sportifs doit se réaliser par principe suivant « une procédure d’appel à candidature publique et non discriminatoire » pour une durée maximale de cinq ans.
De surcroît, le Code du sport exige la constitution de « lots distincts » et interdits les propositions d’offres globales ou couplées. Ces exigences inhérentes au droit de la concurrence ont pour objectif d’éviter la création d’un monopole en ouvrant la commercialisation des droits à plusieurs diffuseurs afin d’en maximiser leur montant.
Néanmoins, la commercialisation des droits audiovisuels sportifs peut être effectuée par le biais d’une négociation de gré à gré lorsque l’appel d’offres est infructueux. Non prévue par le Code du sport, cette possibilité a été approuvée par la Cour d’appel de Paris en l’absence de dispositions contraires (CA Paris, 3 février 2023, n°21/06512).
Du point de vue du consommateur, ce cadre juridique est favorable à la fragmentation de l’offre et donc, par conséquent, à la nécessité de s’abonner à plusieurs diffuseurs pour suivre l’intégralité du championnat, ce qui sera le cas pour la saison prochaine.
Ainsi, pour suivre l’ensemble de la Ligue 1 lors du cycle 2024-2029, deux abonnements distincts seront nécessaires pour une facture globale de 54,99 € pour les offres sans engagements.
Pour échapper à ce cadre juridique et lancer une offre unique profitable au consommateur, la LFP aurait-elle pu opter pour une chaîne dite « 100 % Ligue 1 » ?
Cette option était notamment soutenue par John Textor, actionnaire majoritaire de l’Olympique Lyonnais qui avait déclaré dans un communiqué de presse, en date du 14 juillet 2024, que « signer un contrat à long terme avec des modèles de distribution traditionnels, c'est regarder vers le passé, alors que nous devrions regarder vers l'avenir » et qu’une solution avec un « accès complet et immédiat à tous les matchs, tout le temps [...] sans restriction ».
Sur le plan juridique, l’article R. 333-3 du Code du sport ne semble pourtant souffrir d’aucune exception laissant la place à une commercialisation directe des droits audiovisuels exclusifs.
L’Autorité de la concurrence l’a rappelé dans son récent avis du 20 avril 2023 : « La commercialisation par la LFP des droits d’exploitation audiovisuelle de la Ligue 1 et de la Ligue 2 s’opère dans les formes prescrites par l’article R. 333-3 du code du sport (appel d’offres, allotissement, durée de quatre ans) » (Aut. Conc., 20 avril 2023, avis n°23-A-04).
Néanmoins, à l’image de la solution dégagée par la Cour d’appel de Paris au sujet de la possibilité offerte de commercialiser les droits audiovisuels par une négociation de gré à gré, la réalisation d’une commercialisation en direct à l’issue d’un appel à candidatures infructueux pourrait ne pas déroger aux règles de concurrence dans la mesure où le marché a été consulté et n’a pas répondu présent.
C’est la stratégie qui avait été préférée pour la saison sportive 2011-2012 avec la chaîne CFoot, directement commercialisée par la LFP, pour diffuser en intégralité la Ligue 2 pour un abonnement mensuel de 3,99 €.
Par ailleurs, ce mode de commercialisation serait, sans nul doute, sujet à contentieux de la part de certains diffuseurs, ces derniers pouvant saisir l’Autorité de la concurrence pour des faits de pratiques anticoncurrentielles de la part de la LFP.
Sur ce point, la LFP pourrait solliciter le bénéfice d’une exemption aux règles de concurrence sur le fondement de l’article L. 420-4 du Code de commerce et de l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne afin d’« améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte » : ce qu’une chaîne unique diffusant la Ligue 1 permettrait.
La vente des droits audiovisuels de Ligue 1 constitue pour la LFP une équation périlleuse, entre maximisation des droits et accessibilité de la compétition, elle demeure pour l’heure piégée dans le schéma classique de commercialisation des droits.
Ce cadre juridique, via une consultation de marché ou à défaut, via des négociations de gré à gré, n’offre plus les garanties de croissance espérées dans un marché français en récession.
Enfin, cette attribution pour le cycle 2024-2029, qui est largement en deçà des espérances de la LFP, a abouti sur l’introduction de clauses de sortie laissant entrouvrir la voie à un nouvel appel à candidatures d’ici deux ou trois années ou à la mise en place de la chaîne 100 % Ligue 1.