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Revue juridique

L’affaire « Tigres UANL c. Florian Thauvin » : les conséquences de l’acceptation d’une clause libératoire disproportionnée

par
EAJF / A. CHABOT
le
11/7/24

La résiliation anticipée du contrat de Florian Thauvin par le club des Tigres

En janvier 2021, après cinq saisons et demie à Marseille, le joueur français avait quitté l’OM à l’issue de son contrat, pour rejoindre le club mexicain des Tigres. Ce choix était étonnant pour un joueur de seulement 28 ans, toutefois motivé à l’idée de rejoindre son ancien coéquipier marseillais, André-Pierre Gignac, devenu le meilleur buteur de l’histoire du club.

Son contrat de travail, signé quelques mois plus tôt, le 30 avril 2021, était initialement prévu pour cinq saisons sportives (2021-2026) et pour un salaire annuel net de 3,2 millions d’euros.

Néanmoins, le 23 janvier 2023, après seulement une saison et demie passée au club, les Tigres ont mis fin au contrat par l’intermédiaire d’une lettre de résiliation du contrat de travail aviso formal de terminación anticipada del contrato de imagen ») lui indiquant qu’une indemnité correspondant à 3 mois de salaire pour solde de tout compte lui serait versée.

Le 17 février 2023, le joueur s’est opposé, par l’intermédiaire de son avocat, à l’indemnisation proposée par le club et a demandé une indemnisation de 10,5 millions d’euros, soit l’ensemble des rémunérations restantes de son contrat.

La procédure devant la chambre de résolution des litiges de la FIFA

En ce sens, le 23 mai 2023, le joueur a soumis une demande devant la Chambre de résolution des litiges de la FIFA (« CRL ») pour obtenir 10,5 millions d’euros à titre d’indemnité pour rupture abusive de son contrat de travail.

Le 22 juin 2023, la CRL a admis cette demande financière en compensation d’une rupture du contrat sans juste cause. Elle a indiqué qu’en cas de non-paiement, le club s’exposait, sur le fondement de l’article 24 du Règlement du statut et des transferts du joueur de la FIFA (« RSTJ »), à une interdiction d’enregistrer de nouveaux joueurs pour trois périodes de transferts consécutives.

L’application de la clause libératoire prévue par l’article 14 du contrat

Le principal débat juridique au cœur de cette affaire portait sur l’application de la clause libératoire prévue par l’article 14 du contrat liant le natif d’Orléans et le club de Monterrey.

Ainsi, l’article 14 du contrat de Florian Thauvin stipulait les obligations suivantes :

  • D’une part, que le joueur devrait verser une indemnité de 30 millions d’euros s’il tentait ou décidait de résilier son contrat avant son terme.
  • D’autre part, que le club devrait verser une indemnité de 800 000 €, soit 3 mois de salaire, s’il résiliait le contrat sans juste cause.

Sur ce fondement contractuel, le club des Tigres arguait que cette clause avait été acceptée par le joueur en toute connaissance de cause. Le club ne devait, dès lors, que 3 mois de salaire au joueur.

Sur ce point, si le TAS rappelle d’abord que la CRL a écarté cette clause libératoire parce qu’elle était abusive en raison de sa disproportion entre les parties, il procède ensuite au réexamen du caractère abusif de cette clause.

En ce sens, la formation d’arbitrage s’attelle à vérifier deux conditions :

  • Le déséquilibre dans la capacité à négocier (1.),  
  • La disproportion des conditions économiques préjudiciables au joueur (2.).


1. Le déséquilibre dans la capacité à négocier

Le TAS réfute la thèse selon laquelle le joueur n’était pas en capacité de négocier les différents points de son contrat et notamment l’article 14 prévoyant la clause libératoire (pt. 151).

Plusieurs éléments soutenus par Florian Thauvin lors de son audition par la formation arbitrale soutiennent cette thèse, notamment :  

  • La présence dans les négociations de l’agent du joueur ainsi que de l’avocat de l’agent,
  • Le fait que le joueur ne jugeait pas nécessaire de prendre un avocat mexicain, ni d’effectuer une traduction des éléments soumis à la négociation afin d’assurer leur meilleure compréhension,
  • Le fait que le joueur était d’accord sur le montant de 30 millions d’euros.

Par ailleurs, le joueur affirmait qu’il ignorait que la résiliation sans juste cause du club entraînait une indemnisation limitée à 3 mois de salaire.  

Par conséquent, le TAS en déduit qu’il n’existait pas de déséquilibre dans le pouvoir de négociation des deux parties (pt. 156).

2. La disproportion des conditions économiques préjudiciable au joueur

Toutefois, malgré cette absence de déséquilibre, le TAS, se fondant sur une sentence similaire, reconnaît que la clause pénale est clairement excessive et disproportionnée et ne doit pas être appliquée (pt. 162).

En effet, la clause prévue à l’article 14 du contrat offrait une disproportion dans la faculté des parties de résilier le contrat. Le joueur ne pouvait pas mettre fin à son contrat sans s’exposer à une indemnité financière considérable (30 millions d’euros), tandis que le club ne devait payer que trois mois de salaire au joueur pour une rupture sans juste cause.  

Cependant, le TAS considère que les négligences du joueur lors des négociations doivent entraîner une diminution de l’indemnité.

Dès lors, le TAS estime que la situation d’espèce ne doit pas entraîner l’application « pleine et automatique » de l’article 17.1 du RSTJ, qui prévoit une indemnité pour le joueur calculée sur la base des rémunérations restantes (pt. 163).

Pour rappel, l’article 17.1 du RSTJ qui prévoit les modalités de calcul de l’indemnité prévue en cas de rupture de contrat sans juste cause a été déclaré contraire au droit de l’Union européenne dans l’arrêt Diarra (CJUE, 2e Chambre, FIFA c. BZ, 4 octobre 2024, C-650/22).

Selon le TAS, Florian Thauvin n’est pas un footballeur inexpérimenté et novice, mais un joueur de presque 30 ans qui a représenté son pays à plusieurs reprises et qui a évolué dans des clubs prestigieux comme l’OM et Newcastle avec des salaires conséquents (p. 164).

En ce sens, la formation arbitrale a décidé, en raison des graves négligences du joueur au moment des négociations, de fixer le montant de l’indemnité à 3,2 millions d’euros, au lieu des 10,5 millions demandés par le joueur, équivalent à une année de salaire.  

La nécessaire vigilance des joueurs lors des négociations contractuelles

En conclusion, cette décision du TAS incite les joueurs à la plus grande prudence lors des négociations de contrats.

La clause libératoire disproportionnée au profit du club peut toujours être écartée. Toutefois, cela n’exonère pas le joueur, surtout expérimenté, accompagné par un agent et un avocat, de prendre connaissance de l’intégralité de ses obligations contractuelles. Sinon, il s’expose à se voir reprocher sa négligence ayant pour conséquence une diminution de son indemnité en cas de rupture sans juste cause.