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Les violences sur le terrain au nom des "risques du jeu" (arrêt du 29 août 2019 de la 2ème chambre civile)

par
M. MOULALI / EAJF
le
7/4/24

Revenons sur cet arrêt choc du 29 août 2019 de la 2ème chambre civile, qui lève le voile sur les “fautes" et ses nombreuses zones d'ombre.

Dans cette affaire, un joueur blessé (fracture ouverte du tibia et du péroné) lors d'un match de football à la suite d'un tacle par un adversaire, a poursuivi ce dernier ainsi que l'association à laquelle il appartenait pour obtenir réparation (article 1240 du Code civil).

La cour d'appel avait initialement rejeté sa requête, arguant que bien que le tacle en question puisse être qualifié de faute grossière selon la circulaire 12.05 de juillet 2011 de la Fédération Française de Football (FFF), une telle faute était considérée comme faisant partie des risques acceptés par les joueurs, étant donné qu'elle avait été commise dans le cadre d'une action de jeu visant à récupérer le ballon, sans intention de blesser l’adversaire.

Revirement de situation !

On sait à présent que la Cour de cassation tend à considérer que la violation des règles du jeu n’est pas nécessairement constitutive d’une faute civile. Ce qui est requis, c'est plus que simplement une erreur de jeu, mais une atteinte au jeu lui-même !

Autrement dit, le seuil de la faute se trouve rehaussé en matière sportive et la question était de savoir si ce seuil était franchi ici, en l'absence de preuve d'intention malveillante.

La Cour de cassation conclut que c'est le cas, et annule donc la décision de la cour d'appel qui affirmait le contraire en soulignant que la faute grossière faisait partie des risques acceptés.

Pour la Cour, elle dépasse les risques habituels du sport, de sorte que les juges du fond ne pouvaient pas la retenir tout en rejetant la faute civile.

Cela signifie que la gravité de la faute dépasse ce qui est considéré comme normal ou acceptable dans le contexte sportif (même en l'absence d'une intention malveillante de la part de l'auteur des actes) et qu'elle doit être prise en compte dans le cadre de la responsabilité civile.

La Cour de cassation a reproché aux juges d'avoir rejeté la demande de la victime malgré leur reconnaissance d'une faute grave. Cette faute grave était caractérisée par un niveau d'engagement excessif dépassant les risques normaux associés à la pratique du football.

Autrement dit, les juges ont commis une erreur en exigeant que la faute civile soit liée à une intention délibérée de causer un dommage. Ils ont ainsi mal interprété la loi en conditionnant la reconnaissance de la faute civile à la démonstration de l'intention de l'auteur des actes de causer un préjudice.

La jurisprudence du 29 août 2019 en matière de responsabilité dans le sport s'inscrit résolument dans l'intérêt de la victime lésée. Cette évolution vise à protéger le joueur blessé en lui assurant une réparation pour le préjudice subi, même en présence de la théorie de l'acceptation des risques (qui n’a cependant pas perdu de sa force).

À savoir que selon cette théorie, une personne causant un dommage à autrui lors de la pratique d'une activité dangereuse peut être exonérée de sa responsabilité si la victime a participé librement à cette activité.

Image d'illustration

Dans cette affaire, c’est bel et bien l’excès d’engagement excédant les risques normaux du football qui est reproché.

En d’autres termes, la Cour de cassation s’assure que les juges du fond différencient la maladresse non constitutive de faute civile et les brutalités / engagement excessif à même d’engager la responsabilité de leur auteur.

Conclusion :

Il est indéniable que le sport, tout en restant un plaisir et une passion partagée, ne devrait pas compromettre la santé ni l'intégrité physique des joueurs. Ce changement de perspective juridique souligne l'importance de préserver la sécurité des sportifs, même dans des situations où le risque est implicitement accepté.

En reconnaissant la possibilité d'une responsabilité légale pour des fautes grossières commises dans le cadre de la compétition sportive, cette décision incite à une plus grande prudence lors des actions sur le terrain. Elle vise à réduire les risques d'énormes blessures qui pourraient avoir des conséquences graves sur la vie quotidienne d'une personne, tant sur le plan physique que moral.

En fin de compte, cela renforce la protection des sportifs et encourage une pratique sportive plus sûre et responsable, où le plaisir du jeu ne se fait pas au détriment de la santé des autres.