Dimanche 8 janvier 2023, le président de la Fédération Française de Football (ci-après “FFF”), Noël Le Graët, était l’invité d’une émission sur RMC. Suite à la prolongation du sélectionneur Didier Deschamps quelques heures plus tôt, les questions se sont logiquement orientées vers l’avenir de Zinédine Zidane, successeur pressenti des Bleus et courtisé par plusieurs sélections étrangères. À la question de savoir si Le Graët aurait “mal au coeur” de voir Zidane devenir le sélectionneur du Brésil, la réponse de l’intéressé fût cinglante : “Je n’en ai rien à secouer”. Pire, quelques secondes après, lorsque le journaliste lui demanda si l’ancien numéro 10 des Bleus avait tenté de le contacter, Le Graët répliqua sèchement “Certainement pas. Je ne l’aurai même pas pris au téléphone”.
Ce mépris soudain pour l’une des plus grandes figures du football et plus généralement du sport a nourri nombre de commentaires de la part de personnalités sportives et politiques. Kylian MBappé s’est notamment fendu d’un tweet viral, “Zidane c’est la France, on manque pas de respect à la légende comme ça” vu par plus de 100 millions de personnes en 72 heures. De même, Madame la ministre des sports, Amélie Oudéa-Castera, a regretté “un manque de respect honteux” et a demandé “des excuses” envers Zidane.
Noël Le Graët n’en est pas à son coup d’essai en matière de dérapages médiatiques. En 2020, après une altercation houleuse entre deux joueurs de Ligue 1 dont l’un aurait proféré des insultes racistes à l’encontre de l’autre, l’actuel président de la FFF a déclaré “Le phénomène raciste dans le sport, et dans le football en particulier, n’existe pas ou peu”. En septembre 2022, Le Graët continue d’être dans la tourmente après les révélations de Radio France et SoFoot mettant en lumière de prétendus abus, comportements inappropriés, envois de SMS à caractère sexuel, comportements sexistes et misogynes envers des collaboratrices et salariées de la FFF. Enfin, il a été récemment critiqué pour avoir réagi froidement face à une vidéo attestant des conditions de vie insalubres dans lesquelles vivaient les ouvriers de l’hôtel des Bleus lors de la Coupe du monde au Qatar : “Ce n’est pas insoluble, c’est juste un coup de peinture”.
Ses déboires médiatiques - et judiciaires puisqu’il fait l’objet d’un audit du Ministère des sports après plusieurs accusations répréhensibles sur le plan pénal - mettent en doute sa capacité à rester à la tête de la plus importante fédération française sportive en termes d’adhérents. Lors d’une conférence de presse tenue le 9 janvier 2023, la ministre des sports s’est interrogée : “Maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”. Le 11 janvier, le Comité exécutif de la FFF a décidé de mettre en retrait Le Graët dans l’attente de l’audit commandé par le ministère des sports. Philippe Diallo, vice-président délégué, est donc chargé d’exercer provisoirement les fonctions présidentielles (cf. article 21 des statuts).
Premièrement, il faut noter que le ministère des sports n’a pas le pouvoir direct de destituer Le Graët, malgré la tutelle qu’il exerce sur la FFF. En effet, celle-ci reste avant tout une association de droit privé, régie par ses propres règles, et notamment par ses statuts. D’ailleurs, l’article 19.1 des statuts de la FIFA prône l’indépendance des associations-membres. Le rôle du ministère est symbolique : il ne peut que demander à ce que les organes compétents internes prennent leur responsabilité.
Reste à savoir comment Le Graët pourrait être invité à cesser ses fonctions en interne.
En tout état de cause, Le Graët peut lui-même mettre un terme à son mandat en présentant sa démission (cf. article 3 des statuts). Toutefois, s’il refuse, d’autres organes pourraient l’y inciter.
En premier lieu, la Commission de Discipline de la FFF pourrait être saisie d’une violation de la Charte d’Éthique et de Déontologie du Football qui protège “les principes fondamentaux régulateurs du Football auxquels sont soumis aussi bien les acteurs et les partenaires du Football, que ses instances. Certains font parfois l’objet d’exigences particulières en raison de leur qualité ou de leur statut”. Au titre de ces principes se trouvent notamment le respect, la loyauté, le fair-play, la maîtrise de soi et l’exemplarité. La violation de la Charte est passible d’une sanction de radiation ou d’inéligibilité à temps aux instances dirigeantes mettant un terme aux mandats en cours (article 4.1.2 du règlement disciplinaire). En revanche, cette voie ne serait pas privilégiée car Patrick Anton, Président du Conseil National de l’Éthique de la FFF, a déjà fait savoir dans une interview accordée à l’Équipe le 10 janvier 2023, qu’il ne voulait pas saisir la Commission de Discipline même s’il estime que le président devrait se retirer “dans l’intérêt supérieur du football” car il manque de “lucidité”, de “calme” et de “sérénité”.
Ensuite, tous les médias évoquent le “Comex” pour désigner le Comité exécutif de la FFF dont Le Graët est président. Toutefois, les membres du Comex ne peuvent ni l’évincer, ni l’obliger à démissionner : “il n’est pas prévu dans les statuts que l’on puisse voter une motion de défiance” comme le rappelle Éric Borghini, ancien avocat et membre du Comex dans un entretien à Radio Classique le 11 janvier 2023.
En revanche, une autre instance pourrait le pousser vers la sortie : l’Assemblée fédérale. Mais cette décision entraînerait en conséquence la révocation, en plus, de tout le Comex. Elle rassemble les représentants du football professionnel et amateur et a notamment pour attribution d’élire “les membres du Comité Exécutif (...) dont le Président de la Fédération” (article 11 des statuts). Surtout, elle a le pouvoir de “mettre fin au mandat du Comité Exécutif avant son terme normal, par décision motivée et dans le respect du contradictoire”. Concrètement, elle doit être convoquée à la demande d’au moins un quart de ses membres représentant au moins le quart des voix, dans un délai maximum de deux mois. Les deux tiers des membres de l’Assemblée fédérale doivent être présents ou représentés. La révocation doit être votée à bulletin secret et à la majorité absolue des suffrages exprimés. Elle entraîne la démission de tout le Comex et entraîne l’organisation de nouvelles élections sous deux mois (article 12 des statuts).