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Arrêt Diarra : quel impact sur les contrats des joueurs de football ?

par
EAJF / A. CHABOT
le
10/10/24

Référence : CJUE, 4 octobre 2024, FIFA c/ BZ, C-650/20

Le 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») a suivi les conclusions de l’avocat général Szpunar présentées le 30 avril 2024 : les règles de la FIFA relatives à la rupture du contrat pour juste cause sont contraires au droit de l’Union européenne (« UE »).

À l’origine de cet arrêt, un litige opposant l’ancien footballeur Lassana Diarra et son ancien club le Lokomotiv Moskou remontant à l’année 2014.

En 2013, le joueur s’engage au Lokomotiv Moscou (Russie) pour une durée de 4 ans mais un an plus tard, en 2014, le club résilie son contrat se fondant sur de multiples manquements contractuels du joueur : absence à un dîner officiel de l’équipe, absence à l’entraînement et déplacement non autorisé en France.

Pour ces manquements, Diarra sera condamné en 2015 par la chambre de résolution des litiges de la FIFA au paiement d’une indemnité de 10,5 millions d’euros. Cette sanction sera confirmée un an plus tard par le Tribunal arbitral du sport (« TAS ») dans une sentence (CAS 2016/A/4474, Lassana Diarra v. FC Lokomotiv Moskow, award of 27 may 2016).

Entre-temps, Diarra souhaite rejoindre le Sporting Charleroi, mais les sanctions adoptées par la FIFA l’en empêche, il saisit alors le tribunal de commerce du Hainaut pour demander réparation du préjudice de ne pas pouvoir exercer son métier à la FIFA qui lui donne raison mais la FIFA interjette appel.

En appel, représenté par l’avocat Jean-Louis Dupont, spécialiste des questions européennes du sport, déjà en défense de Jean-Marc Bosman en 1995, le joueur suggère à la cour d’appel de Mons de poser une question préjudicielle à la CJUE afin de vérifier la compatibilité des règles FIFA en cause au regard du droit européen (article 267 du TFUE).

Certaines règles de la FIFA contraires au droit européen

La FIFA constitue, en tant que fédération internationale, le principal « législateur » du football mondial, imposant des normes dans de nombreux domaines qu’ils soient sportifs ou économiques.

En ce sens, la FIFA avait adopté, dès 2001, le Règlement du statut et du transfert du joueur (« RSTJ ») afin d’assurer la stabilité contractuelle des joueurs de football dans leur club.

Ainsi, sur le fondement de l’article 9 et 17 du RSTJ, un joueur qui résiliait unilatéralement son contrat sans juste cause avant son terme s’exposait à plusieurs sanctions financières et sportives pouvant entraver sa carrière ou « y mettre fin prématurément » (pt. 104).

Par son arrêt du 4 octobre 2024, la Cour déclare contraire au droit européen les articles litigieux du RSTJ sur deux fondements distincts : la liberté de circulation des travailleurs (article 45 du TFUE) et le droit de la concurrence (article 101 du TFUE).

Sur le premier fondement, la Cour, dans le prolongement de la jurisprudence Bosman, considère que les règles de la FIFA constituent une entrave à la liberté de circulation des travailleurs que sont les footballeurs professionnels (pt. 94).

Sur le second fondement, la Cour considère que les règles litigieuses conduisent à restreindre « de façon généralisée, drastique, et permanente » le marché concurrentiel des recrutements de joueurs de football (pt. 145). Elle considère également que ces règles constituent des « accords de non-débauchage » (pt. 145).

L’absence de remise en cause du système des transferts  

Il convient de le préciser d’emblée : l’arrêt Diarra ne constitue ni une remise en cause des contrats de joueurs, ni la fin du système de transfert dans le monde du football.  

En effet, la Cour a pris le soin de préciser que « les mécanismes classiques du droit des droits des contrats » continueront à assurer la stabilité contractuelle en faisant référence notamment au mécanisme de la clause libératoireindemnité en cas de rupture de contrat par un de ses joueurs » pt. 145) et au contrat de transfertle jeu normal des règles du marché entre clubs, qui permettent à ceux-ci [de conclure] un accord financier entre clubs » p. 145).

Toutefois, il constitue un coup d’arrêt au système, jugé « disproportionné », adopté par la FIFA permettant d’éviter toute rupture anticipée de contrat et lorsque celle-ci arrive de la sanctionner de façon très importante.

La Cour opère, en ce sens, un renvoi à la pratique contractuelle, mais également indirectement un renvoi aux droits nationaux revenant ainsi sur l’œuvre universaliste de la FIFA prévoyant des règles uniformes de rupture contractuelle pour juste cause sanctionnée par une procédure unifiée devant la chambre de résolution des litiges de la FIFA, puis en appel, par le TAS.

Une indemnité diminuée en cas de rupture contractuelle

L’arrêt Diarra remet ici en cause les modalités de rupture imposées par un organe non étatique - la FIFA – et notamment l’indemnité devant être versée par un joueur en cas de  rupture sans juste cause.

Dans son arrêt, la Cour pointe du doigt l’absence de définition du mode de calcul de l’indemnité. Ainsi, elle considère cette indemnité « imprévisible » et « incontrôlable » prenant en compte des « éléments étrangers à la relation de travail » (pts. 106 - 135).  

En l’absence de telles dispositions, désormais hors-jeu sur le plan du droit européen, les sanctions issues des droits nationaux s’appliquent.

Cet argument était d’ailleurs invoqué par L. Diarra, ce dernier indiquant qu’en droit du travail belge, le montant de l’indemnité correspondait uniquement à la rémunération restante due jusqu’au terme du contrat (pt. 135).

En droit français, l’article L. 1243-4 du Code du travail offre une solution similaire en cas de rupture à l’initiative de l’employeur.

Par conséquent, l’arrêt Diarra permet d’amenuiser le montant de l’indemnité à laquelle s’expose un joueur. Cette circonstance, favorable au joueur est doublée, d’une désormais absence de sanction sportive évitant ainsi une entrave dans la carrière du joueur.

Le cadre européen pour l’adoption de nouvelles règles garantissant la stabilité des effectifs  

Si la Cour sanctionne ici les règles de la FIFA, elle ne relève pas moins la possibilité pour l’association d’adopter de nouvelles règles à même de garantir la stabilité contractuelle des effectifs.  

La Cour reprend ici son raisonnement dans l’affaire Super League (CJUE, 21 décembre 2023, C-333/21), évoquant le fait que la FIFA, en tant qu’organisateur d’une compétition sportive demeure légitime pour adopter des règles communes garantissant « l’homogénéité et le déroulement des compétitions » et de s’assurer de « la stabilité de la composition des effectifs de joueurs » (pts. 143 – 144).

À ce propos, la Cour considère, par exemple, que l’article 16 du RSTJ prohibant la résiliation des contrats de travail durant les compétitions, est légitime (pt. 144).

Les critères posés par la Cour sont les suivants : les « règles et les sanctions [...] se justifient par la poursuite d’un objectif légitime d’intérêt général, de telles sanctions ne peuvent être admises qu’à la condition que leur fixation soit encadrée par des critères transparents, objectifs, non discriminatoires et proportionnés » (pt. 111).

Sur ce modèle, la FIFA pourrait donc revoir sa copie et adopter un RSTJ amendé prenant en compte les exigences du droit européen.

L’indemnisation des joueurs sanctionnés pour rupture sans juste cause

Enfin, ultime conséquence de l’arrêt Diarra, les joueurs ayant été condamnés à des indemnités financières pourront demander réparation du préjudice.

C’est d’ailleurs, le point de départ de ce litige : Diarra souhaitait être indemnisé pour n’avoir pas pu exercer son travail de footballeur professionnel pendant la durée de la sanction prise par la FIFA.

Ce dernier pourrait prétendre à la réparation d’un double préjudice financier :

  • Un préjudice né de la condamnation à une indemnité pour rupture de contrat sans juste cause (10,5 millions d’euros)
  • Un préjudice né du manque à gagner pour le contrat proposé par le Sporting Charleroi (valeur des rémunérations proposées pendant la période de sanction).  

Sur le fondement de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014, un droit à réparation est consacré aux particuliers victimes d’une violation de l’article 101 du TFUE.

Le joueur pourrait voir son préjudice indemnisé par la cour d’appel de Mons, en charge de l’application de l’arrêt de la CJUE à son cas d’espèce.